Manifeste pour une autre politique de l’habitat dans les territoires dits détendus
Cécile Bouclet avec Marie Mondain / Article publié dans la lettre de Codra de Janvier 2016
25% de logements produits « en trop » entre 2006 et 2011, c’est l’un des constats du Manifeste Pour une autre politique de l’habitat dans les territoires « dits détendus ». A l’initiative des cinq associations régionales HLM d’Auvergne, de Bourgogne, de Champagne-Ardenne, de Franche-Comté et de Lorraine, Codra associé à Soft Report ont pu questionner les conséquences du recul industrielet démographique sur les marchés de l’habitat de certains territoires et in fine sur la stratégie à mettre en œuvre par les organismes HLM de ces Régions.
Des territoires fragilisés que la notion de « tension » ne permet pas d’appréhender de façon opérationnelle et durable
A travers ces analyses, c’est la pertinence même de la « tension » comme critère discriminant et fondateur des politiques du logement qui est remis en cause, ne rendant pas suffisamment compte de la diversité des situations et ne permettant pas non plus des actions réellement différenciées selon les territoires.
Non-opératoire, le recours à ce critère masque l’existence de besoins en logements pour les publics fragiles dans ces territoires dits « détendus ». L’évolution de la répartition des emplois, des structures des ménages induits de nouveaux besoins, comme ailleurs. Ce critère gomme aussi la complexité des situations avec, au cœur des territoires dits détendus des situations de forte tension du parc social à l’instar de la métropole clermontoise.
Bizarrement, le critère de tension n’empêche pas l’application relativement uniforme d’une politique nationale du logement (soutien à l’accession, défiscalisation pour l’investissement locatif, ANRU, Plan de cohésion sociale, plan de relance, etc.) aux effets délétères sur ces territoires fragilisés.
La surproduction, de l’ordre de 25% des logements construits entre 2006 et 2011, sature les marchés immobiliers en empêchant une régulation par les prix ou la rareté de l’offre. C’est l’augmentation de la vacance, conséquence de la saturation des marchés, qui constitue l’un des marqueurs les plus visibles du dérèglement des marchés. Sur les 5 régions étudiées, la vacance a augmenté de 30% entre 2006 et 2011.
Vacance en augmentation, obsolescence accélérée du parc ancien … les déséquilibres du marché immobilier liés à des pertes d’emplois et de populations et accentués par des politiques nationales de soutien à la construction remettent en cause, à terme, la pérennité des revenus locatifs du bailleur. C’est la notion de récurrence des revenus qui a été introduite par le Manifeste. Pourtant, les investissements sont nécessaires pour faire évoluer un parc social en décalage avec la demande actuelle des ménages (mal placé, inconfortable, en collectif, etc.). Face à une concurrence exacerbée par l’affaissement des prix de tous les segments de marché privés (locatif et accession), les organismes doivent réagir.
Territorialiser la politique du logement et renouveler le cadre réglementaire…
Ces analyses, alliées aux remontées de terrains, esquissent des priorités d’actions, dans la logique d’interpellation propre au Manifeste. Il s’agit de la concentration des moyens sur l’adaptation du parc existant, l’inscription des stratégies des bailleurs dans une planification partagée et de long terme à l’échelon local, l’amélioration de la qualité de services à une diversité croissante de public et la conservation de loyers accessibles à travers un assouplissement des normes, des modes de faire et de développement de nouvelles réponses d’habitat.
Derrière ces préconisations s’affiche en fil d’Ariane la nécessité de renouveler l’approche de ces territoires en faisant jouer un rôle aux Régions qui pourraient moduler les orientations nationales, étant mieux à même de mesurer les interactions à valoriser entre leurs métropoles et les autres territoires : que les relations se complètent plutôt que de se confronter.
… des échos médiatiques à la mise en œuvre, un chemin encore long
Constat partagé au sein du mouvement HLM, la territorialisation de la politique du logement est aussi régulièrement évoquée dans les annonces ministérielles. « j’estime que l’action publique doit être menée au plus près du terrain, en s’adaptant aux spécificités des bassins de vie et aux besoins de nos concitoyens. C’est particulièrement vrai en matière de politique de l’habitat. Elle requiert des réponses différenciées. Dans les zones tendues, le problème principal reste la pénurie d’offre de logements. Dans les zones détendues, l’enjeu est plus celui de la réhabilitation et de la revitalisation des cœurs de villes et des centre-bourgs. » expliquait récemment la Ministre du logement Madame Pinel.
Pourtant, dans le même mois, le Président de la République annonçait l’élargissement du champ d’application du PTZ pour que « la quasi-totalité du pays » soit concernée. Connaissant désormais les effets déstabilisants de la construction neuve en individuel sur les marchés immobiliers locaux des territoires dits « détendus », cette décision univoque révèle le chemin à parcourir pour impulser un changement réel de la conduite des politiques de l’habitat en France.